Val d’Aran, premier 100 km

Vendredi 8 juillet, Les, 5h56. A quelques minutes du départ, les premières notes de Vangelis sortent des haut-parleurs. Je ferme les yeux et écoute, les pensées se bousculent : tout ce qui s’est passé durant ces six derniers mois, l’inscription un peu sur un coup de tête, la journée qui m’attend … est-ce que je vais arriver à boucler les 105 km / 6100 mD+ du Camins D’Hèr en 26h15 maximum ? C’est mon premier 100 km, et pourtant je ne suis pas particulièrement stressé ou inquiet : arrivera ce qui doit arriver … et sinon, hé bien il y a des choses pires dans la vie, n’est-ce pas ?

6h, c’est parti !! Un petit check avec Thierry, on se voit à l’arrivée ! Au début, c’est un joli single track qui serpente le long de la Garonne, qui n’est qu’un joli torrent de montagne dans le Val d’Aran. Le jour se lève assez rapidement, ça bouchonne un peu, mais la sensation de la course longue est là et tellement agréable : on court à bon rythme sur le plat et en descente, on marche en montée, sans monter le cardio, le corps avance sans effort, c’est trop cool …

Km 15, San Joan Toran, 8h15. Il est temps de passer aux choses sérieuses, 2000 mD+ en 19 km à venir. Tactique habituelle de M4 : on ne monte peut-être pas bien vite, mais on ne s’arrête pas. Au début c’est frustrant, on se fait doubler par plein de monde, mais au bout d’un moment on commence à reprendre les premiers fatigués assis sur le bord du chemin. On sort petit à petit de la forêt pour découvrir la haute montagne pyrénéenne, c’est absolument magnifique, du pur bonheur !

km 27, un peu avant Pas Estret, 11h. Tout va bien, j’ai une petite demi-heure d’avance sur mes prévisions, on va pouvoir attaquer les premières descentes, puis le sommet de la course au Port d’Urets à 2500 mètres d’altitude. C’est toujours aussi beau. Le paysage est très minéral, on est dans le secteur des mines de fer du Liat, exploitées il y a une centaine d’années, puis abandonnées par manque de rentabilité. Il y a quelques ruines, on traverse des tunnels, c’est sympa (plus d’infos => http://curiositespyrenees.blogspot.com/2016/03/mines-du-liat.html).

Aïe !! Dès le début de la descente, une douleur au-dessous du genou !! Ca vient très vite, impossible de courir, ou alors sur quelques dizaines de mètres avant que la douleur ne devienne trop intense. Bon, ben, si on ne peut pas courir, on marche, hein … le problème, c’est que quand on marche dans une descente roulante, hé bien, on se fait doubler par tout le monde, c’est rageant !!

Km 41, Montgarri, 14h40. Ca va moyen moyen : vu que j’ai mis beaucoup plus de temps que prévu, j’ai épuisé ma réserve d’eau, je suis bien déshydraté et je n’ai plus que 40’ d’avance sur la barrière horaire ! Seule solution possible : rester lucide ! Le genou, on n’y peut pas grand-chose, mais j’ai soif et je n’ai probablement pas assez mangé. On va se traîner jusqu’à Beret, faire un gros repas, voir les médecins si besoin et on verra !

Légère montée jusqu’à la station de ski de Beret. C’est un ancien site de sabbat, ça va peut-être me porter chance … ou pas ! 25’ de pause, incluant gros plat de pâtes – sauce tomate – gruyère. 20’ d’avance sur la barrière au départ, je décide de ne pas aller voir les médecins, il y a plein de monde, je vais y passer des heures : il y a une grande descente jusqu’à Salardu, on verra bien ce que ça donne. Au début, je marche. Et puis, petit à petit j’essaie d’alterner 1 minute de course et 1 minute de marche. La descente est sympa, facile. Progressivement, aussi bizarre que ça soit, la douleur au genou s’estompe, je peux reprendre un peu de course, et même doubler mes premiers coureurs depuis plusieurs heures, la sorcellerie a marché !

Km 55, Salardu, 17h45. Du coup, arrivé à Salardu, j’ai repris un tout petit peu d’avance sur les barrières ! Never give up !!  Il fait chaud, chaud, chaud !! On traverse le village, c’est super joli, et tous les gens qu’on voit nous encouragent, c’est formidable ! Je garderai du Val d’Aran le souvenir de tous ces villageois qui nous sourient, qui nous félicitent, parfois on ne fait qu’un petit geste ou un pauvre sourire en retour, mais si vous saviez comme ça nous fait du bien au moral !! Il est temps d’attaquer la montée vers le cirque de Colomers. Le moral est meilleur, un peu de fatigue mais plus de douleur, je suis dans les 40’ de la barrière horaire, mais je ne me pose pas la question …

Km 64, Banhs de Tredòs, 19h40. C’est beau, c’est beau, c’est beau !! Le moral est de nouveau bon, mais il ne faut pas traîner, je reste sous la menace des barrières : focus sur l’objectif, la dernière est à Artiès à 3h15 du matin ! Je repère deux catalans qui ont un bon rythme, on est à peu près à la même vitesse, on se relaie dans cette avant-dernière grosse montée, on double plein de monde, il y a du caillou, du caillou, du caillou, c’est Belledonne en pire …

Km 72, Estany Ubago 21h40. Il est temps de sortir les frontales. S’il y a un truc pire que les cailloux le jour, c’est bien les cailloux la nuit : il y a moins de relief sous la lumière des frontales, je perds plus facilement l’équilibre, sûrement un truc que je n’ai pas assez travaillé. Je fais au mieux, prie pour mes chevilles … la vitesse oscille entre 3 km/h et 4 km/h, impossible de faire mieux dans ces conditions. Le temps paraît passer infiniment lentement, c’est dur.

Km 75, Colomers, 23h. Ouf, ça y est, tout d’un coup, c’est la fin des cailloux. On rejoint un grand chemin, beaucoup plus praticable. Pas question de perdre du temps au ravito, je grignote un petit truc, je remplis les flasques et zou, en route pour Arties. La marge sur la barrière horaire est stable, mais il doit y avoir des dégâts du côté des autres coureurs : je n’arrête pas d’en doubler soit sur le chemin, soit qui prennent des grandes pauses aux ravitos … c’est assez roulant, mais je ne cours pas, je n’y arrive pas. Là aussi, il y quelque chose à travailler côté mental ou physique, pour pouvoir ne serait-ce qu’alterner marche et course.

1h du matin. On est sur un long single track pas très technique mais qui longe le haut d’une falaise. La tête me tourne un peu, effet d’être au milieu de la nuit ou pas assez mangé, je ne sais pas trop, je n’arrive pas à faire la part des choses. Quoi qu’il en soit, il me reste assez de lucidité pour me dire qu’un pas de côté serait très malvenu à cet endroit. Un gel Meltonic pour reprendre quelques forces, marcher pas trop vite et faire doublement attention …

Km 91, Artiès, 2h20. In Ze Pocket !!! Cool, j’ai pu courir un peu dans la grande descente, du coup, j’ai une heure d’avance sur la barrière, sauf blessure c’est bon !! A ce propos, je me suis tordu les deux chevilles, en apparence sans conséquence, dans les 15 dernières minutes avant le ravito … évidemment, c’est toujours le moment où on se déconcentre ! Un bol de riz – sauce tomate – gruyère vite fait et gooooo ! Il me reste 6h pour faire 15 km et 1200 mD+, ça commence à sentir bon. On attaque la grande montée, j’ai retrouvé les catalans de tout à l’heure, cette fois c’est moi qui fais la trace, je suis fatigué mais je me sens bien, on ramasse les morts sur le côté. Ne surtout pas s’arrêter. Ca passe bien, 1h30 pour faire les 650 mD+, finalement c’est pas trop mal … au final, j’aurai gagné 200 places sur la seconde moitié de la course.

Km 99, Santet, 4h30. Il fait froid, très froid, avec un petit vent glacial, 2° selon l’organisation. Pas de précipitation, ça ne sert à rien : 15 minutes de pause pour manger un peu, mettre toutes les couches et les gants et c’est reparti. La dernière partie de la montée de 450 mD+ est horrible, je ne m’y attendais pas du tout. C’est droit dans une grande pente herbeuse, super raide, pas de chemin, genre Verticale du Grand Serre pour ceux qui connaissent. Enfin, c’est le sommet ! Le jour commence à se lever, j’ai la tête qui tourne un peu : est-ce l’effort ? La fatigue ? Pas d’importance, il reste juste à descendre vers Vielha sans se mettre les chevilles en vrac.

Km 104, Vielha, 7h. On quitte le chemin, on rentre dans le village, il ne peut plus rien se passer. Pas trop de sensation de fatigue. Profiter, profiter du lever de soleil, profiter de ces moments magiques, profiter de soi, d’avoir relevé le défi. Repasser les images de la journée, moments de joie.

Km 105. Vielha, 7h08. Une immense baffe à la cloche d’arrivée, j’ai dû réveiller tout le village ! Qu’est-ce que j’ai pu y penser, à ce moment ! Tout d’un coup, tout s’arrête, plus de tension, je m’assois sur un banc, seul, dans le village. L’esprit se vide, vagabonde, je ne pense à rien mais je me sens bien, je profite … des moments inoubliables, tellement forts, indescriptibles !

Et ce petit vélo qui commence à me tourner dans la tête en me disant « tu sais que tu as pris en une course la moitié des points nécessaires pour participer à l’UTMB ? » …

 

PS1. Toutes les photos ne sont pas de moi, j’ai arrêté d’en prendre quand j’ai réalisé que c’était chaud chaud pour les barrières horaires

PS2. Désolé, en revanche, il y en a pas mal de moi, c’est tout ce que j’ai pu récupérer sur le site des organisateurs

PS3 et c’est le dernier. Je n’ai pas beaucoup parlé de mes petits camarades Thierry (finisher en 23h50) et Marc (finisher de la grande course en 42h40)