Wildstrubel – 113,7 km – 6 440 mD+

– C’est quoi ta course, ce week-end, déjà ?
– le Wildstrubel !
– Ah …

Bon, j’explique : le Wildtrubel est un sommet d’un peu plus de 3000 mètres, situé à cheval entre les cantons de Berne et du Valais, en Suisse. Ce n’est que la deuxième édition de la course cette année, mais elle me fait de l’œil depuis quelques mois avec des vidéos absolument magnifiques sur le web … le tirage au sort de l’UTMB ne m’ayant pas été favorable, elle a tout pour m’attirer : ce sera la découverte d’une région que je ne connais pas, de la course dans un pays que je ne connais pas, pas trop loin de la maison … et accessoirement le meilleur rapport distance / Running Stones d’Europe avec le Val d’Aran !

J’arrive assez confiant : après des petits soucis de blessure aux mois de mai – juin, j’ai pu bien m’entraîner durant l’été, tout en profitant de nos belles montagnes. Juste dans un coin de la tête cet abandon au trail du Queyras début juillet avec cette impression d’avoir lâché dans la tête – mental de looser, pas vraiment envie de revivre ça !

De Crans Montana à Adelboden (60 km – 3 400 mD+), que du plaisir !

Surprise, il pleut au départ ! Mais bon, comme disait ma grand-mère, on n’est pas en sucre, hein … on met juste la veste de pluie et c’est parti !

Les premières heures se passent tranquillement : plaisir des sentiers, des alpages, des jolies descentes un peu techniques …

Après un peu plus de 3h30 de course, on s’attaque à un célèbre col de la région, le Gemmipass. Taillé dans une falaise rocheuse, il faut avoir le nez dessus pour simplement imaginer qu’un sentier passe par là ! Je discute avec une fille du coin, elle m’explique que la commune de Loèche-les-bains offre la descente en télécabine et l’entrée gratuite aux bains publics à ceux qui le gravissent en moins d’une heure. On verra ça une autre fois, hein …

Une fois au col, le paysage change complètement et devient très minéral, très « haute montagne ».

Magnifique, même si le ciel est encore couvert. Un long chemin bien roulant redescend dans la vallée, ça se court tranquille, en essayant de ne pas entamer les réserves.

Après Kandersteg, c’est le deuxième gros col, le Bunderschrinde. Jamais vu un truc pareil. Hyper minéral, c’est absolument magique ! Un peu de brume qui subsiste et qui ajoute à la magie du lieu. Tellement content d’avoir vu cet endroit au moins une fois !

Adelboden. C’est la base-vie de la mi-course, j’espérais avoir deux heures d’avance sur la barrière horaire, c’est pile-poil bon, même si je me sens un peu plus fatigué que je pensais. Un bon stop, un message aux amis pour dire que tout va bien, un énorme plat de pâtes (« si, si, madame, vous pouvez encore ajouter de la sauce tomate et du gruyère »), et une petite friandise que je m’étais préparée (une grappe de raisin, hummm). Le moral est bon, c’est reparti !!

D’Adelboden à la cabane Wildtrubel (32 km – 2 700 mD+), au bout du bout

Le soleil est revenu, les paysages sont magnifiques, les lumières de fin d’après-midi magiques sur les montagnes. En discutant avec d’autres coureurs qui ont fait la course l’année dernière, ils me confirment ce que je pensais : la dernière montée est terrible. On se dit qu’il vaut mieux garder quelques réserves et, de concert, on gère cette partie sans trop forcer.

La nuit tombe, il devrait faire froid en haut. Je me change, mets la veste, le buff, les gants, je prends une frontale bien chargée, je vérifie dans quelle poche est la frontale de secours : tout est prêt, c’est parti pour le morceau de bravoure de ce Wildstrubel.

Dès les premiers mètres de la montée, aïe : ça commence par une petite gêne à l’aine quand je lève la jambe, pas grand-chose, mais ce n’est vraiment pas le moment !

Comme on pouvait s’y attendre, ça ne s’arrange pas avec le temps, et devient vraiment douloureux. Après 500 mètres de montée, il y a un point de contrôle avec un médecin : je lui demande s’il peut m’aider, il me conseille du repos … ça doit être de l’humour Suisse !! Enervé, j’oublie de remplir mes flasques … tant qu’à être dans la mouise, autant y être pour de bon, hein !

Pas question de revivre le Queyras, si je dois m’arrêter, ce sera la Barrière Horaire qui s’en chargera. Je pense au récit de Thierry sur sa course en Andorre et j’enclenche le « mode têtu ». C’est arrivé à d’autres de souffrir en course, pas de raison. Ce sera demi-pas après demi-pas, et vogue la galère …

Chaque pas est une douleur, je pense aux messages d’encouragement et au soutien des amis, à ne pas les décevoir.

Ca y est, c’est le sommet ! Magique, la cabane Wildstrubel apparaît d’un coup dans la nuit. Soulagement, mais ce n’est pas gagné : je suis vraiment monté lentement, je ne sais absolument pas où j’en suis par rapport à la barrière horaire, il reste 1500 mètres à descendre, et vu l’état de ma jambe, si c’est technique, ça risque d’être compliqué …

De la cabane Wildstrubel à Crans-Montana (21 km – 430 mD+), on va gérer pour arriver

Les 200 premiers mètres de descente sont encore terribles : c’est technique, c’est du rocher très irrégulier, je me casse la figure plusieurs fois … ouf, ça va mieux, on rejoint un joli chemin de moyenne montagne qui descend tranquillement vers la vallée. Juste ne pas se déconcentrer, rester lucide.

La nuit est belle, pas un nuage, je suis seul, c’est trop beau ! Encore des moments magiques. Je m’arrête une minute, j’éteins la frontale, et je profite. Tellement intense.

Barrage de Tseuzier, le soleil se lève, dernier ravito.

Finalement, il me reste 3h30 pour faire 12 km / 350 mD+ / 500 mD-. Ca devrait le faire, mais le stress demeure, car même si ma jambe va mieux, si les montées ou les descentes sont techniques, ça risque d’être limite. Ne pas forcer pour que la douleur ne revienne pas, rester en gestion …

Sortie de la Bisse du Ro (oui, ils ont des jolis noms en Suisse). Il reste deux kilomètres de plat sur des jolis chemins dans la station, ça y est, c’est in ze pocket ! Soulagement. Ah mais il y a un gars qui essaye de me rattraper ?? Pas question, j‘ai une 541ème place à défendre !! Je parviens à reprendre la course (bon, au niveau rythme, c’est pas Kipchoge hein) pour finir en trottinant.

Arrivée à Crans Montana (113,7 km – 6440 mD+), quelle joie !

Ca y est, c’est fait ! Le speaker baragouine dans son micro des trucs que je n’entends pas, quelqu’un me passe une médaille autour du cou, quelques sanglots de relâchement. Je m’assois quelques minutes, la tête toute vide … et je savoure.

Trop fier d’avoir tenu mentalement dans la difficulté
Trop reconnaissant à la vie de me permettre de faire cela alors que tant sont touchés par la maladie ou les blessures
Trop de gratitude envers les amis pour vos pensées et vos messages, on est tous finishers ensemble !!

Pas souvent qu’on revient de Suisse en ayant l’impression de s’être enrichi …